Le Collectif publie 22 demandes suite à la Consultation nationale des aidant.e.s
En ces temps de grands débats nationaux, Le Collectif Je t’Aide a choisi de porter la parole des aidant.e.s, pour qu’elle.il.s ne soient plus la dernière des préoccupations des politiques publiques.
Le Collectif Je t’Aide est constitué de 15 structures, très diverses, en taille, en répartition géographique, en publics touchés, qui s’associent pour porter ensemble la voix des aidant.e.s. Nous organisons chaque année la mobilisation de la Journée Nationale des Aidant.e.s et le Prix Initiatives Aidant.e.s. Nous agissons, avec des actions de plaidoyer, auprès des médias, des élus, des entreprises.
Ce travail de consultation a été mené grâce à un questionnaire dématérialisé, envoyé via les canaux de communication de tout le Collectif, pendant une période de 3 semaines, en amont de l’événement de restitution et de partage. 270 répondant.e.s ont contribué avec des témoignages détaillés et des demandes spécifiques. Les thèmes sur lesquels les aidant.e.s étaient interrogés reprenaient ceux du Grand Débat National.
La rencontre du 12 mars 2019 a rassemblé des aidant.e.s, des experts, des professionnels, des collectivités, des élu.e.s, afin de transformer les résultats d’une consultation publique et nationale menée auprès des aidant.e.s. Les centaines de témoignages reçus ont été synthétisés en une série de demandes concrètes, qui seront directement intégrées dans nos actions de plaidoyer. Afin que la reconnaissance des aidant.e.s progresse, afin que leurs droits progressent, cette synthèse et ces demandes seront transmises aux ministères concernés.
Les réponses à cette consultation ont été nombreuses et très riches. Ces réponses vont dans le sens d’un sentiment de colère, de « ras le bol ». Un des témoignages résume assez bien la tonalité générale : « Un vrai statut, un vrai salaire, des vraies cotisations retraite, une vraie sécurité sociale, une vraie reconnaissance, des vrais droits ! »
Les quatre grands thèmes ci-dessous ont émergé de la consultation et ont servi de cadre à la réflexion des groupes de travail réunis le 12 mars.
Reconnaissance des aidant.e.s
Le sujet de la reconnaissance des aidant.e.s demande à être balisé, et les témoignages reçus couvrent une demande de reconnaissance au sens très large : reconnaissance par qui ? Pourquoi ? Et comment ?
Le travail de reconnaissance est un travail de “visibilisation”. Aider est, dans sa nature, un travail, et il faut le rendre visible comme tel. Il est crucial de sortir du cliché de l’aide comme quelque chose d’allant de soi, de “naturel”, terme qui renvoie à un sacrifice, de soi et d’une population assignée : s’il est “naturel” que j’aide, alors je n’ai pas le droit de craquer, et le choix d’aider, ou de ne pas aider, ne m’appartient pas. La visibilisation sert l’intérêt général car elle permet de souligner aussi la communauté d’intérêts entre les aidant.e.s proches et les professionnel.le.s. La finalité de cette reconnaissance, ce sont des droits : sociaux, fiscaux, répit, retraite, formation, congé de proche aidant.e, etc. Il a été largement souligné lors des ateliers qu’il n’était pas anodin que l’aide soit si invisible et qu’elle soit en même temps majoritairement une activité assignée aux femmes. La reconnaissance des aidant.e.s est donc aussi un combat d’équité de genre.
Les témoignages sont nombreux à mettre en parallèle aide apportée et travail – à la différence près qu’un travail ouvre à des droits, et à un salaire. Cette grille d’analyse de l’aide comme travail est très intéressante, car elle nous oblige à considérer davantage la valeur de l’aide apportée par ces millions d’aidant.e.s.
« Lorsqu’on s’arrête de travailler pour accompagner un.e proche en situation de perte d’autonomie, on ne cotise plus pour la retraite. Pourtant c’est un travail à part entière ! Et un travail qui abîme la santé ! »
Ce rapprochement fait écho à un débat très intéressant qui a eu lieu lors des réflexions sur la mise en place en France du relayage (baluchonnage). Certain.e.s élu.e.s se sont effrayé.e.s qu’une telle pratique de prise de relais de l’aidant.e à domicile sur des périodes longues par un.e “baluchonneur.euse” soit une attaque frontale au droit du travail : s’il est “intolérable” que cette tâche soit effectuée dans le cadre d’un travail contractualisé, rémunéré, et ouvrant à des droits, on se demande pourquoi ces mêmes élu.e.s ne s’offusquent pas que des aidant.e.s l’accomplissent sans reconnaissance, sans ouverture de droits, en se précarisant et en mettant trop souvent leur propre santé en péril.
Ces réflexions sur la nature de l’aide se doublent d’un sentiment très fort d’injustice : « Un.e aidant.e qui s’arrête de travailler pour s’occuper des sien.nne.s devrait avoir une cotisation pour la retraite » – si aider est une tâche à part entière, avec son lot de fatigue, de temps consacré, et qu’elle crée une valeur pour la société (le service de “care” apporté, et les économies pour la société qui vont avec), pourquoi n’ouvre-t-elle pas à des droits à la retraite ?
Cette même logique de parallèle entre travail et aide, avec l’injustice liée à l’aide est exprimée par de nombreux autres témoignages, avec parfois jusqu’à la revendication d’un salaire : « Un vrai statut pour les aidant.e.s avec salaires rétribués par le Ministère de la Santé pour les services rendus.»
« L’aidé.e n’a pas demandé à être malade ou handicapé.e et l’aidant.e à suppléer aux manquements de l’Etat français.
Autre demande forte : être représenté.e et entendu.e : « Il faudrait créer un comité de représentation des aidant.e.s pour intervenir au niveau du Gouvernement, ou désigner un Secrétaire d’Etat pour les aidant.e.s .»
« Créer un ministère des aidant.e.s adossé au ministère des personnes âgées afin que leur voix soit entendue. » – Cette idée peut bien sûr être étendue au public aidant.e.s de personnes atteintes d’un handicap.
C’est en ce sens que la demande d’un statut est omniprésente, avec une logique simple : statut = reconnaissance = droits. La logique est simple car en méconnaissant actuellement la valeur de l’aide apportée par ces millions d’aidant.e.s, on les assigne à la non reconnaissance : « Un vrai statut pour les aidant.e.s, valorisation de leurs tâches, recensement et études nationales, estimer le coût de ce que font tous.tes les aidant.e.s et les économies pour la société..»
Faciliter la vie quotidienne des aidant.e.s
La centralisation des recours et des informations, la rationalisation des process et de l’organisation sur les territoires est une autre demande forte : « Un guichet unique […], éviterait de multiplier les interlocutrice.eur.s, d’avoir des réponses contradictoires ou pas de réponse du tout et permettrait de déployer les bonnes pratiques. » Même constat pour cette aidante : « Des réponses concrètes et centralisées en un seul point pour répondre aux questions qui se posent aux aidant.e.s (à qui s’adresser pour aménager le domicile, apprendre les bons gestes etc…) »
Centraliser, rationaliser, mais aussi former le service public : « Mieux former les services publics comme la sécurité sociale pour qu’ils puissent répondre aux questions que se posent les aidant.e.s pour eux ou pour la personne aidée. Quand on a un.e proche malade on se retrouve sans aide pour savoir quels sont ses droits en terme d’allocations sociales et personne pour répondre. Quand on pose la question à divers organismes on n’a pas la même réponse. »
Ces témoignages interpellent sur le sérieux d’une volonté d’Etat de proposer un accompagnement réel à ces aidant.e.s. Toujours sur le sujet administratif, les témoignages concordent pour condamner les démarches, décourageantes, compliquées, lourdes : « Il faudrait absolument pouvoir suivre un parcours clair et précis ! Quand on est aidant.e, ça nous tombe dessus, on ne sait pas à qui s’adresser. Et tous les dossiers administratifs, les papiers à fournir qu’on n’a pas toujours… Il faudrait que l’Etat simplifie les démarches, c’est urgent ! »
En plus de la simplification des démarches, les différentes institutions et actrice.eur.s du médico-social doivent mieux se coordonner.
Si les demandes de financements supplémentaires et de simplification du parcours administratif sont très majoritaires ici, certain.e.s aidant.e.s partagent d’autres demandes précises :
« En tant qu’aidant, j’ai besoin d’un ordinateur, d’un budget « timbres » pour écrire aux administrations, d’un accès internet pour faire des courses en ligne le soir et gagner du temps » – autre demande comparable : « Il faut proposer aux aidant.e.s un accès totalement gratuit aux soins ainsi qu’un forfait téléphonique gratuit ». Dans la même veine, la gratuité des transports est plusieurs fois demandée. Si, comme nous le suggèrent les témoignages, aider relève souvent du travail, il est intéressant de repenser la nature des moyens d’accomplir ce travail. Ordinairement un employeur en cas de travail salarié fournit les outils de travail : téléphone, ordinateur, mais ce n’est pas le cas des aidant.e.s qui doivent financer eux.elles mêmes ces outils. Les aidant.e.s le perçoivent comme une injustice.
Le sujet de l’aide de professionnel.le.s intervenant auprès de l’aidé.e est aussi souvent abordé : « Besoin de plus d’aide humaine afin de souffler physiquement et moralement. Se décharger en toute confiance sans que cela coûte cher ». Qu’on soit aidant.e à domicile ou à distance, on coordonne les intervenant.e.s à domicile, ce qui est un grand facteur de charge mentale. On se retrouve parfois à la tête d’une sorte de petite PME, or on ne s’improvise pas employeur comme ça, il y a de grands risques prud’homaux qui ne devraient pas peser sur les aidant.e.s.
Les aidant.e.s en emploi souhaitent très majoritairement le rester : l’entreprise doit tenir compte de leur situation et l’Etat et les partenaires sociaux doivent protéger le.la salarié.e aidant.e et mettre en place des mesures pour leur simplifier la vie : flexibilité, télétravail, aménagement du temps de travail, etc. La RSE fait partie intégrante des entreprises, tenir compte de la situation des aidant.e.s doit également l’être à ce même titre.
« Un vrai statut, un vrai salaire, des vraies cotisations retraite, une vraie sécurité sociale, une vraie reconnaissance, des vrais droits ! »
La justice fiscale
L’équité demandée pour les aidant.e.s passe aussi par la justice fiscale : « Exonération des impôts relative au volume d’heures d’aide, crédits d’impôts sur les équipements, les aménagements, l’aide à domicile et les hébergements, suppression de l’imposition des aides reçues (PCH), et qu’on ne tienne plus compte des ressources du conjoint pour l’attribution de l’AAH ». L’idée générale des témoignages sur l’injustice fiscale part du principe que les aidant.e.s assument les frais quotidiens (transports, soins, hébergements, interventions…) et s’appauvrissent, alors même qu’ils rendent service à la collectivité. Aussi, la demande qu’une demi part fiscale supplémentaire leur soit accordée a été formulée plusieurs fois.
Autres demandes pratiques formulées : relever les plafonds de l’APA pour les personnes résidentes en EHPAD, défiscaliser les heures de services à la personne, accorder le droit à l’erreur pour les familles qui ont des défauts de paiement des impôts lorsque l’aide chamboule les rôles familiaux (ex : impôts non payés de bonne foi car la personne ordinairement en charge a déclaré une pathologie neurodégénérative..). Crédit d’impôts pour les équipements numériques : l’ordinateur et internet sont désormais des outils de base du kit de l’aidant.e qui doit faire des démarches administratives, une aide fiscale pour équiper les aidant.e.s modestes ferait sens.
Sensibilisation du grand public
La demande de sensibilisation du grand public, de la société, des professionnel.le.s, des élu.e.s, est aussi au coeur des témoignages reçus.
Le rôle des pouvoirs publics dans cette sensibilisation est souvent rappelé. Il est ainsi proposé de mener des campagnes d’information – sensibilisation – prévention co-portées avec des ministères variés. Exemples : « non au harcèlement, manger cinq fruits ou légumes par jour, boire ou conduire il faut choisir,… ». Si l’Etat est sincère dans ses discours répétés de souhait que les aidant.e.s soient mieux identifié.e.s et reconnu.e.s, il doit mettre des moyens pour les faire sortir de l’ombre.
Une telle action de l’Etat doit mobiliser transversalement plusieurs ministères : droits de femmes, éducation nationale, budget/économie, santé, numérique. La question des aidant.e.s doit sortir du périmètre exclusif du ministère de la santé et des solidarités.
Cette sensibilisation permet aussi d’anticiper sur les bouleversements démographiques à venir : demain, chacun.e sera aidant.e. L’éducation nationale a une mission de prévention (Ex : sécurité routière, conduites à risque, éducation civique, …). Il faut former les instituteurs.trices et professeur.e.s pour qu’ils repèrent les jeunes concernés.
Sensibiliser les professionnel.le.s de santé est bien entendu une demande récurrente, au repérage et à l’accompagnement spécifique des aidant.e.s : le.la professionnel.le de santé, sensibilisé.e, peut repérer les aidant.e.s, et les équiper d’un premier outil contenant les premières pistes pour être épaulé.e. Les managers et les RH, en entreprise, doivent aussi être sensibilisé.e.s.