Aidant.e.s : avez-vous déjà envisagé le baluchonnage comme solution de répit ?

S’octroyer des moments de répit est une nécessité pour les aidant.e.s. qui ont besoin de souffler, de s’oxygéner et de se détacher d’une vie pesante, voire épuisante, ne serait-ce que pour quelques heures. 

 

42%

des aidant.e.s souhaiteraient le développement de maisons de répit accueillant ponctuellement l’aidé.e ou l’aidant.e  [baromètre Fondation April ; 09/19]

Le Baluchonnage®, encore au stade d’expérimentation en France, est un dispositif de répit et d’accompagnement aidant.e-aidé.e à domicile.

Entretien avec Rachel Petitprez, directrice de Baluchon France

« C’est un souci constant qui mobilise le corps et l’esprit. Il est normal de prendre en charge un.e proche, mais pas au prix de ne plus exister soi-même. »

« Je suis épuisée, cumulant un emploi associatif et l’aide à ma mère atteinte de DV, j’habite chez elle. Elle ne sait plus lire, se trompe dans ses médicaments, etc. AUCUN temps pour moi, aucun répit, aucune vie. Les médecins comptent trop sur ma présence, et je suis en train de craquer. »

Qu’est-ce que le Baluchonnage®? 

Le Baluchonnage® est la possibilité pour un.e aidant.e d’avoir un répit de plusieurs jours en partant forcément de son domicile et en confiant son proche en situation de handicap ou en perte d’autonomie à un professionnel qui va venir habiter dans son domicile 24h/24 et occuper son rôle d’aidant.e. Sur le principe, les aides à domicile, les services, comme par exemple l’accueil de jour, sont maintenus, car ils sont nécessaires à l’équilibre, aux habitudes ou aux repères de la personne aidée. Le Baluchonneur® va occuper un peu tous les rôles tenus par l’aidant.e habituellement, par exemple les soins d’hygiène, la préparation des repas, faire les courses mais aussi aller se promener, ou encore stimuler le.la proche aidé.e, répondre aux besoins la nuit si besoin, etc…

Le Baluchonnage® existe depuis 20 ans au Québec. Il a été inventé à partir du constat que l’hébergement temporaire pouvait être délétère pour certains patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Marie Gendron, infirmière et créatrice du Baluchonnage® a commencé avec quelques autres infirmières à faire du Baluchonnage®, c’était quasiment du bénévolat. Cela fonctionnait avec des familles aisées ou avec des dons privés.

Un des intérêts du Baluchonnage® au Québec est que cela répond à une deuxième problématique : cela donne du travail, une estime de soi, un rôle à des femmes souvent divorcées ou veuves, qui sont à la retraite et qui finalement trouvent beaucoup de sens à apporter quelque chose à la société par ce biais. Cela leur permet de travailler à la carte et en même temps cela les positionne dans un rôle encore très important, très valorisant.

Par manque de dons, l’association allait cesser de fonctionner quand le ministère de la santé a décidé de prendre le relais et de financer les Baluchonnages®. Aujourd’hui au Québec, ce sont entre 7 et 14 jours par an par aidant.e qui sont financés par le ministère.

Au Québec, le Baluchonnage® est réservé aux aidant.e.s de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, alors qu’en France, on se développe d’emblée avec l’idée de concerner tous les aidant.e.s qui accompagnent des proches atteints de toutes les pathologies. Cela peut paraître effrayant de financer du répit pour les 8 à 11 millions d’aidant.e.s, mais en fait le Baluchonnage® ne concerne que ceux.celles qui ne peuvent plus passer le relais à des membres de la famille, dont les aides extérieures ne sont pas suffisantes pour que l’aidant.e puisse s’absenter quelques jours, beaucoup peuvent vivre l’hébergement temporaire sans en souffrir. Mais certain.e.s aidant.e.s n’ont plus de solutions, le Baluchonnage® devient alors la solution.

Où en est-on aujourd’hui en France ?

En France, cela fait déjà une dizaine d’années que certains professionnels militent pour l’implantation du Baluchonnage®.

La principale difficulté à sa mise en place relevait du droit du travail, un décret permet désormais une dérogation à la législation du travail: une expérimentation inédite a donc pu débuter en 2019 qui rend possible le Baluchonnage® en France.

Un salarié peut désormais travailler 24h/24 jusqu’à 6 jours consécutifs, à l’issue de sa mission tous les repos non pris (les nuits, pause-déjeuners, etc.) lui sont dus. Ce qui fait qu’un salarié qui fait 6 jours de relayage dans le mois est ensuite au repos chez lui pendant environ 3 semaines et demie. C’est donc quasiment un temps plein puisqu’il aura effectué 144 heures de travail (6x24h).

40 structures d’aides à domicile, associatives ou privées ont été sélectionnées par la DGCS et la CNSA pour tester la dérogation à la législation du travail et mettre en place du Relayage. Parmi elles, certaines se tournent vers Baluchon France pour développer leur service en s’appuyant sur l’expérience du Québec et peuvent appeler leurs prestations « des Baluchonnages® ».

Baluchon France est une association à but non lucratif, œuvrant pour l’implantation du Baluchonnage en France, comme répit de longue durée pour les aidants.

Le Baluchonnage® va plus loin que le relayage sur certains aspects, notamment sur la formation, l’accompagnement et le soutien aux professionnels. Baluchon France accompagne ainsi 11 des 40 structures et a formé à ce jour 27 Baluchonneurs®. De nouvelles formations sont prévues en 2020 et 2021. Le démarrage de l’expérimentation est plus long que le calendrier espéré car chaque porteur doit trouver des financements pour réduire le reste à charge pour les familles.

Les dispositifs de droit commun ne prennent pas encore en compte ces prestations de répit… les porteurs se tournent donc vers les caisses de retraite, les appels à projets et quelques conseils départementaux essaient de trouver une solution de financement…

Il y a en tout cas beaucoup de familles intéressées par le Baluchonnage® . Après un an de démarches, les porteurs obtiennent des financements et plusieurs structures en France sont désormais en capacité de proposer du Baluchonnage®. L’expérimentation doit se dérouler sur 3 ans et se terminer en décembre 2021. Le retard pris dans le démarrage ajouté à la crise du Covid nous amène à militer en faveur d’une prolongation d’un an de l’expérimentation…

La pérennisation qui suivra, nous l’espérons, devra résoudre quelques questions restées en suspens : les contrats de travail, les heures supplémentaires, le temps de repos préalable…

Tout aidant.e dont le proche ne pourrait pas bénéficier d’hébergement temporaire devrait pouvoir bénéficier du Baluchonnage®.

 

Les professionnels ont-ils une formation spécifique, notamment pour accompagner des proches atteints de la maladie d’Alzheimer, de handicap ou d’autisme ?

Les professionnel.le.s sont formé.e.s par Baluchon France au Baluchonnage® : la philosophie, le cadre, le respect des limites de chacun avec beaucoup d’exemples et de jeux de rôle qui permettent à chacun de se projeter dans cette nouvelle mission. Des formations continues sont prévues deux fois par an par Baluchon France. Les Baluchonneurs sont accompagnés et soutenus en permanence par l’équipe de coordination.

Les professionnels des Services d’Aide à Domicile porteurs de Baluchonnage® sont bien sûr formés par leur employeur aux pathologies des proches qu’ils vont accompagner. Les structures qui participent à cette expérimentation ont fait le choix de faire un recrutement en interne pour leur service de Baluchonnage®.

Les profils sont le plus souvent des aides à domicile qui ont entre 10 et 20 ans d’expérience et qui ont une spécialité sur certaines pathologies. Les Baluchonneurs® sont majoritairement des femmes qui ont entre 50 et 62 ans. Ils ont toujours de l’expérience et ont un parcours de vie assez long et assez fort, ce sont en général des personnes qui ont eu à surmonter elles-mêmes les obstacles de la vie et qui ont une maturité pour comprendre qu’on va chez des aidant.e.s non pas pour faire la révolution mais pour leur offrir du répit.

Ce qui change pour elles c’est qu’elles avaient l’habitude d’intervenir pour un.e aidé.e et qu’avec le Baluchonnage®, elles interviennent auprès d’un.e aidé.e mais ce n’est que le moyen pour offrir du répit à l’aidant.e.

Nous proposons un moment de répit pour l’aidant.e, et aussi un accompagnement de qualité de l’aidé.e mais le point fort du Baluchonnage® est la formation de l’aidant.e. Cela peut être bien-sûr de constater que les choses qui ont été mises en place par l’aidant.e sont très bonnes. C’est déjà beaucoup pour un.e aidant.e de s’entendre dire que ce qu’il a fait c’est du bon travail. L’intervenant va être aussi en mesure d’apporter une réponse, des suggestions aux besoins exprimés par l’aidant.e.

Comment se passe un baluchonnage ?

Le Baluchonnage® se prévoit environ deux mois à l’avance. Il faut étudier les besoins, quels talents vont être nécessaires pour bien baluchonner. Il y a dans un premier temps des contacts téléphoniques pour répondre à toutes les questions de l’aidant.e jusqu’à ce qu’il.elle soit prêt.e à envisager une date. On va répondre à beaucoup de ses inquiétudes par téléphone.

Ensuite, le coordinateur va se déplacer au domicile, accompagné parfois d’un Baluchonneur® ou d’un psychologue, pour découvrir le domicile, l’aidant.e et l’aidé.e. et ainsi obtenir les points de détails et les points de complexité de l’accompagnement. Puis, le coordinateur étudie la faisabilité du Baluchonnage® et si nécessaire propose des aides supplémentaires.

Une fois les ajustements faits, c’est au Baluchonneur® de choisir s’il accepte ou non la mission. Cela permet au Baluchonneur® de se dire qu’il a choisi d’aller aider cette famille, il n’en sera que plus motivé !

Par la suite, si l’aidant.e est d’accord, il lui est proposé une visite de courtoisie ou un contact en visio pour sentir s’il y a bien un feeling avec le Baluchonneur®. La famille a la possibilité de consulter le profil du Baluchonneur® sur internet. L’aidant.e a ensuite encore la possibilité de poser des questions, quand la date approche, il y a souvent des craintes qui apparaissent.

Le 1er jour, le Baluchonneur® va passer 3 heures avec l’aidant.e et l’aidé.e pour que chacun s’acclimate en douceur et que la séparation arrive sereinement quand la confiance est bien instaurée. Nous vérifions toujours que l’aidé.e est d’accord aussi sur le principe. On ne va pas baluchonner chez un.e aidant.e dont l’aidé.e s’y oppose.

Un Journal d’Accompagnement rédigé par le Baluchonneur® est ensuite transmis à l’aidant.e qui peut ainsi découvrir le déroulé du Baluchonnage® jour par jour et les observations et éventuelles stratégies proposées en réponse aux difficultés qu’il avait exprimées lors de la préparation du Baluchonnage.  

A noter que nous militons pour maintenir les aides à domicile pendant le Baluchonnage® : cela constitue un maintien des repères pour l’aidé.e, une facilité pour l’aidant.e (on ne lui rajoute pas de démarches administratives) un soutien pour le Baluchonneur dans sa mission. Par exemple, si c’était complexe pour l’aidant.e de faire la toilette de son proche et qu’il fait désormais appel à un service extérieur, cela le serait probablement aussi pour le Baluchonneur, autant laisser le professionnel habitué réaliser cette tâche. Cela va permettre par ailleurs au Baluchonneur de se concentrer sur d’autres moments clés vécus par l’aidant.e.

Quels sont les retours que vous avez sur le baluchonnage ?

Les retours des familles qui ont expérimenté le Baluchonnage® sont très positifs. Au Québec, elles nous disent « être tombées en amour avec leur Baluchonneur® ! ». En France, les familles demandent souvent à renouveler l’expérience et pour une période plus longue !

Les familles soulignent que le Baluchonnage leur permet de tenir dans la durée et qu’elles en ont besoin pour poursuivre le maintien à domicile de leur proche. C’est extrêmement fort et c’est normal car les aidant.e.s ont confié ce qu’ils ont de plus cher au Baluchonneur®. Ce temps de répit leur a donné une telle bouffée d’oxygène que cela représente beaucoup pour eux.elles. L’aspect formation et transmission de connaissances est aussi beaucoup apprécié, même si certain.e.s veulent seulement du répit et ne souhaitent pas changer les choses qu’ils.elles ont mis en place pour leur proche.

Mais cela reste un long cheminement pour l’aidant.e à arriver à prendre cette décision. Il.elle est passé par différentes étapes de construction, il.elle a accepté l’accueil de jour, les aides à son domicile. C’est un travail dans la longueur avant qu’il.elle soit prêt.e à quitter son domicile et à passer la main. Il.elle comprend et accepte que d’autres personnes s’occupent de leur proche, viennent à leur domicile car il.elle prend conscience qu’il.elle a besoin de répit, de se déplacer pour son travail, pour aller voir ses enfants, se faire opérer, etc., …

Il peut se passer plusieurs mois entre le tout premier appel pour des demandes d’informations et le moment où l’aidant.e confie son proche à un Baluchonneur®.

Les aidant.e.s attendent longtemps avant de s’accorder du répit. Ils.elles entendent très bien qu’il faut qu’ils.elles prennent soin d’eux mais ils.elles ne réagissent que lorsque les signes d’alerte sont très forts. Ils.elles espèrent être capables de déjouer le sort et de faire face. Je pars du principe qu’on est tous contents d’avoir des congés quand on est salarié, même les retraités sont contents d’avoir des vacances. Donc, il faut que ce soit un principe de base, valable aussi pour les aidant.e.s, qui doivent pouvoir s’accorder du répit.

Pour trouver du Baluchonnage®, consultez la carte de France répertoriant les structures qui proposent du Baluchonnage®. Actuellement 16 départements sont couverts et bientôt de nouveaux !

Si on pouvait offrir un baluchonnage ne serait-ce que 5 jours par an et par aidant en France, ce serait déjà beaucoup.

 

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