« A eux deux, mes enfants ont 22 rendez-vous avec des professionnel.le.s par semaine. »

« Je suis 24h/24 aux côtés de mes enfants, 7 jours / 7.

Mon premier fils, Jules, 8 ans est autiste et ne dort pas, mon deuxième, Paul, 4 ans, est atteint de trisomie 21. Il est sous surveillance toutes les nuits pour ses apnées du sommeil et sa malformation du larynx. Je les habille, les nourris, les amène régulièrement à l’hôpital.

Mon aîné en septembre 2018 a fait 4 séjours à l’hôpital : je l’y accompagne et y passe la nuit. L’hôpital est à 1h30 de chez nous. A deux, ils ont 22 rendez-vous avec des professionnels (psychomotriciens, etc) par semaine. On essaie de s’arranger avec mon mari, qui travaille, mais même à deux on n’y arrive pas toujours. Et bien sûr, il y a tout le temps consacré à remplir les dossiers MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées, ndlr).

« Auparavant j’étais assistante maternelle. J’ai du arrêter de travailler pour des problèmes de santé liée à l’aide que je prodiguais. Lorsque mon premier fils autiste a été refusé à l’école en 1ère année de maternelle, j’ai ouvert une association pour aider les autres parents et enfants à évoluer avec leur situation de handicap. »

Ce refus d’entrée à l’école m’a beaucoup affectée à l’époque, mais j’ai vite réalisé que je n’étais pas la seule, ça a été le moteur de la création de cette association. Je me suis formée à la langue des signes et à toutes les méthodes de communication : PECS, ABA, TEACCH, ainsi que la formation Montessori. Mon association accueille les enfants porteurs de handicaps et les aide à évoluer le temps que l’école les accueille, ou pour prendre le relais lorsque les écoles les acceptent mais tout en les laissant de côté, dans les couloirs par exemple…

Les parents sont nombreux à être démunis car ils ne peuvent pas avoir de places en école, du fait du manque d’AVS (Auxiliaires de Vie Scolaire, ndlr). En l’absence de professionnel.le.s, il a fallu que je me professionnalise, pour pallier ce manque. Dans les CAMPS (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce, ndlr) et les structures d’accueil, tous les professionnels sont en pénurie : orthophonistes, psychomotriciens. Devant cet état de fait, nous parents, on finit par devoir les remplacer.

Le parent n’est plus que parent, il est aussi éducateurpsychologue, psychomotricien. On n’a quasiment pas d’aides techniques ou financières, il faut bien qu’on se débrouille par nous-mêmes. Lorsqu’ils sont disponibles, les psychomotriciens, ergothérapeutes, …, sont payants. On est obligés de faire autrement.

Mon reste à charge par mois est de 600 euros pour mes deux garçons. Alors on se prive de vacances pour que nos enfants évoluent au plus vite.

La MDPH est l’interlocutrice des personnes handicapées ou des aidant.e.s de personnes handicapées, à l’échelon départemental. Ils sont censés nous aider. Mais ils participent directement à notre épuisement avec leurs dossiers. La première année où mon fils aurait dû être scolarisé, j’ai appelé l’école en disant que j’avais eu la notification MDPH et qu’il me fallait absolument une AVS car sinon il ne pourrait pas y entrer. On m’a répondu « vous savez, l’école n’est pas obligatoire, si votre fils ne va pas à l’école, ce n’est pas grave« . Autre chose, mon fils a un problème de larynx demandant une assistance en permanence, je me suis adressé à la MDPH, toujours, ils m’ont répondu « attendez, un bébé, ça boit, ça dort !« . Quant aux dossiers, on doit régulièrement remplir la même chose, alors que mon fils a une trisomie, et que ça ne changera jamais, il est sourd, ça non plus ne changera jamais. Il y a peu on m’a octroyé une carte de stationnement pour 6 mois. Je doute que dans 6 mois mon fils n’aura plus la trisomie, qu’il marchera, etc. On s’épuise, avec des dossiers MDPH à remplir pour obtenir des riens. Beaucoup de parents se plaignent de la MDPH, mais surtout entre eux, sans le dire à haute voix : ils ont peur de se plaindre de la MDPH et du coup de perdre leurs droits. Lorsque vous avez votre notification MDPH, vous pouvez la contester au tribunal. Mais les gens ne le font pas, ils ont peur et sont épuisés.

Ma santé est directement impactée par l’aide que je procure à mes enfants. J’ai 3 hernies au niveau des cervicales4 au niveau des lombaires, inopérables car situées sur la colonne vertébrale, et une opération me ferait courir le risque d’être moi-même handicapée. J’ai aussi une fibromyalgie de stress, à force de courir partout avec les enfants. A force de les porter, j’ai deux défilés thoraco-brachial : les épaules pincent et bouchent les artères. J’ai récemment découvert que j’ai une spondylarthrite ankylosante, en plus de tout le reste. Je ressens de la fatigue physique, morale. Le plus jeune de 3 ans ne marche pas, il fait 17 Kg. Je ne vais pas le laisser à terre… Les poussettes ne sont pas forcément adaptées et quand j’arrive chez un.e spécialiste, souvent il n’y a pas d’ascenseur : je dois porter et mon fils et la poussette.

Les professionnel.le.s m’ont aidé : ils m’ont souvent appris à faire chez moi ce qu’ils faisaient dans leurs cabinets. D’autant que les professionnel.le.s manquent de temps et la sécurité sociale ne prend en charge le remboursement que pour des formats de consultations très courts.

Ce que je demande aujourd’hui, c’est d’abord un soutien financier : mon fils porte toujours des couches et boit de l’eau gélifiée. Vous en avez pour 400€ de frais et on vous verse une aide de 80€, financièrement je ne m’en sors pas. Ce serait bien aussi de développer des vacances pour les enfants handicapé.e.s, car elle.ils ne sont pas bien vu.e.s en vacances. On a besoin aussi d’aides à domiciles : je n’ai pas droit à une aide au ménage même avec mes hernies. Le peu d’aide qu’on a, est dirigé exclusivement vers les enfants, mais il faudrait considérer leur environnement, et en premier lieu leurs aidant.e.s.

Aujourd’hui, quand on est aidant.e., il faut souvent se former soi-même et se débrouiller tout.e seul.e. Les associations se donnent à fond pour le handicap, et ce sont de grandes aides. Et souvent elles ont été montées par des parents qui vivent la même chose que vous. Ces associations devraient être présentes dans les hôpitaux, pour soutenir les parents dès l’annonce du diagnostic. Et les associations organisent des événements, pour financer parfois ce que l’Etat ne prend pas en charge : sans réponse en France on doit se rendre à l’étranger pour des stages, des opérations, qui peuvent être hors de prix pour des parents et qui nous sont rendues accessibles grâce à l’énergie et la générosité de ces associations.

J’ai fait un bon nombre de courriers à M. MacronMme Cluzel, anciennement à M. Hollande, pour leur remonter tous les témoignages de parents. Dernièrement encore, j’ai souhaité passer une VAE (validation acquis) éducatrice spécialisée, on m’a répondu « ah non vous ne pouvez pas, vous avez des enfants handicapés, donc vous êtes dedans !« . Alors parce que je suis concernée, je n’ai pas le droit de passer mon diplôme, même si je fais ce travail 24h/ 24 ? Que faut-il faire pour se faire entendre ? Je comprends ces parents qui craquent, on est tellement à bout de nerfs à devoir remplir nos dossiers MDPH tous les six mois – alors qu’on est face à un handicap sérieux et durable. Pourquoi devoir tout refaire tous les 6 mois ou un an ? Dans 6 mois ou un an mes enfants seront toujours porteurs de trisomie et autiste. Et pour ces 24 heures de travail par jour 7j/7, je ne cotise pas à la retraite, que vais-je faire quand j’atteindrai l’âge de la retraite ? Je n’aurai rien. »

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